Histoires d’une Vie – Une Vie d’Histoires

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Jour après jour nous marchons d’un pas plus ou moins décidé sur le chemin de notre vie, bien souvent sans nous rendre compte réellement qu’à tout moment le sol peut disparaître sous nos pieds.

Ainsi va notre existence. Une naissance, une mort et entre les deux une infinie variété d’histoires. Certaines agréables, d’autres beaucoup moins mais elles ont toutes un point commun : la vie. Une vie remplie de joies et de peines, de rires et de larmes, de doutes et de certitudes, de désirs et de désillusions, d’envies et de manques, d’espoirs et de pertes. Une vie humaine avec ses gloires et ses bassesses, parfois inintéressante à en mourir, parfois si intensément vibrante que l’on voudrait que ça ne s'arrête jamais. A chaque instant la vie coule en nous sous forme de sensations, d’émotions et de pensées.

Ce que j'appelle Histoires est ce flot de pensées quasi ininterrompu qui commente les événements, qui invente des scénarios, qui spécule sur un avenir inexistant, qui magnifie ou ridiculise une situation, qui jauge et qui juge une personne, qui fabrique une poésie au regard d'une fleur ou qui crée un enfer à partir d'une sensation désagréable.

Pour illustrer mon propos je vous demande de faire un petit arrêt sur image, prenons le temps d’observer quelques unes des phrases que nous pourrions utiliser tous les jours.

D'après vous, lesquelles font appel à la réalité, et lesquelles s’appuient sur l’imaginaire ? :

  1. « Dis-moi que tu m’aimes »
  2. « Tu m’as trompé ! »
  3. « Je suis certain que mon salaud de patron va me virer »
  4. « Je dois assurer la sécurité et l’avenir de ma famille »
  5. « Je viens d’avoir un accident grave »
  6. « Il m’a dit que j’ai tort de faire ça, mais je vais lui prouver que j’ai raison ! »

Verdict ?

Oui en effet, ce sont toutes des histoires. Des histoires que l’on se raconte et on y croit dur comme fer, car entre autres réalités il pourrait bien s’agir de :

  1. J’ai besoin de me sentir aimé et rassuré par quelqu'un car cette sensation agréable d'amour et de soutien je ne parviens pas à me la procurer tout seul.
  2. Je me sens en sécurité quand tu fais ce que tu me dis car j'ai peur d’être déçue encore une fois. J’ai besoin de me sentir en confiance avec toi et respectée. La colère monte en moi quand je me livre et ne reçois pas ce que j'attendais.
  3. Les conséquences d’un licenciement seraient tellement graves pour moi que cette peur se projette sur celui qui semble avoir le pouvoir de me mettre dans cette situation. Et ça me met en colère contre lui.
  4. J’ai toujours appris que l’homme doit être fort et protéger sa famille. C’est un devoir qui me fait terriblement peur et je ne me sens pas à la hauteur, pas à ma place. Pour oublier comme c’est difficile pour moi je bois / je joue un rôle / je mens / je me cache / je m’enfuis…
  5. Cet accident vient remettre en cause l’idée que je m’étais faite de mon avenir. J’ai peur de ne plus être, de ne plus faire les choses comme avant. Je me sens déjà diminué, handicapé.
  6. J’ai tellement peur de perdre ma liberté de penser que je préfère croire que c’est l’autre qui a tort. Je manque tellement de confiance en moi que, pour me rassurer, j’essaie de rallier les autres dans mon camp.

 

Les histoires sont très souvent imbriquées les unes dans les autres, elles s'entrecroisent et s'alimentent. Ne vous est-il jamais arrivé de constater comment, parti d'un certain sujet de pensée, vous arriviez au bout de quelques minutes à un sujet totalement différent ?

Les histoires sont comme des échafaudages, il y a des échelles verticales, des plateaux horizontaux, des systèmes de fixation entre les échelles et les plateaux, des ancrages pour amarrer cet ensemble à la structure murale du bâtiment. Les échelles verticales posées au sol sont toutes les histoires entendues de manière répétée depuis notre plus tendre enfance : « il faut être gentil ; tu dois obéir ; ne fais pas ton intéressant ; ce que tu ressens est faux ; si tu fais ce qu’on attend de toi alors ; etc. ».

Les plateaux horizontaux (ce sur quoi on marche) sont les histoires que l’on se crée soi-même : « si je ne suis pas gentil on ne va pas m’aimer ; si je n’obéis pas je vais être puni / banni ; si je dis que je connais la réponse on va croire que je me fais passer pour quelqu’un qui sait tout ; j’ai un mauvais pressentiment avec cette personne mais je dois avoir tort car elle a l’air sympa ; ils comptent sur mon aide alors je vais faire tout mon possible pour les satisfaire, même s’il m’en coûte ».

Les systèmes de fixation sont les habitudes de pensée, n’étant pas remises en cause elles figent les histoires entendues et deviennent notre réalité de référence, notre façon de voir le monde.

Les ancrages qui fixent (qui incarnent) notre échafaudage personnel à l'édifice de notre vie intérieure (et à notre corps) sont toutes les émotions ressenties lorsque ces histoires sont révélées au contact de nos expériences quotidiennes. Les émotions incrustent l'histoire dans le corps et la psyché. A leur tour, le corps et la psyché contiennent l'histoire et peuvent à tout moment la faire resurgir sous forme de pensée et/ou de sensation par le biais d'une émotion ou d'une situation particulière.

Le petit être humain a besoin d’histoires pour se forger une identité, mais ceux qui les racontent sont-ils au courant que nombre d’entr’elles sont fausses ? Qu’elles ne correspondent pas à la réalité factuelle ? Les conteurs savent-ils s’ils parlent juchés sur leur propre échafaudage, ou les deux pieds sur terre ?

Un moyen simple de vérifier cela est de mettre en vis-à-vis la pensée qui nous traverse avec ce qui est réellement en train de se passer. Par exemple : je pense que je suis paresseux parce-que je n'ai pas envie de faire ce que je dois faire maintenant (et j’en ressens un malaise). Je descends de mon échafaudage et j’essaie de regarder d’en bas ce qui se raconte là-haut. Alors je peux peut-être repérer les mots paresseux et dois faire, puis les remettre en question. Mais que peuvent-ils bien faire dans cette histoire ? A quoi ils se rattachent et à qui servent-ils ? Est-ce qu’ils m’aident à me sentir bien dans ma peau ? De toute évidence : non. Alors pourquoi est-ce que je les crois ?

En prenant sincèrement le temps de répondre à ce genre de questions simples, en cherchant avec assiduité les besoins intimes qui se cachent derrière des sentiments troubles on finit par constater que d’anciennes habitudes de penser se désagrègent peu à peu. Nous vérifions ainsi systématiquement la véracité des histoires qui nous grattent, nous irritent ou nous blessent. L’échafaudage du mensonge (bien souvent transmis par ignorance) se disloque lentement et reste en place celui de la vérité. Par une écoute attentive et bienveillante des histoires qui nous traversent, nous découvrons peu à peu les racines de cet arbre gigantesque qu'est l'imaginaire.

Alors commence une autre vie, non pas exempte d’histoires, mais peu à peu expurgée de leur croyance systématique comme étant une réalité figée et inexpugnable. Une grande tranquillité arrive avec cette nouvelle vision car nous constatons que passent en nous, en permanence, des histoires qui ne tiennent pas debout face à la réalité de notre regard vivant. Une sensation ou une émotion désagréable se transforme alors en un sourire de compassion pour ce jeu continuel d’une Vie faite d’Histoires.

Et à la fin, quand le sol disparaît pour la dernière fois, ce parcours devient l’Histoire d’une Vie.

Christian Patouillard

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