De la Solitude
De la solitude
Je me sent seul : qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
Quel est ce sentiment, que ressent-on exactement ?
Je me trouve sur une planète peuplée de milliards d’êtres vivants, où tout bouge et change en permanence, et je me sent seul.
Entouré d’autres humains, dans une grande ville ou en campagne, avec tous ces magasins et ces véhicules, tous ces buildings ou modestes maisons, tout ce bruit et ces odeurs, je me sent toujours seul : pourquoi ? Comment est-ce possible ?
Si je me trouvais le seul humain sur une île isolée du pacifique, dans le grand nord canadien à mille lieues de toute habitation ou dans un désert entouré de dunes à perte de vue cela aurait du sens de ressentir de la solitude. Mais ici, en France, pays couvert de routes...
Que me manque t-il quand je ressent ce vide ?
Force est de constater que tous les êtres vivants ont des besoins. Des besoins physiologiques pour tous et, en sus, psychologiques pour ceux dotés d’une capacité émotionnelle et mentale (même embryonnaire). Le fonctionnement des besoins est simple : si je n’obtiens pas une quantité suffisante de ce qui nourrit un de mes besoins, la réponse en est du manque, de la souffrance. Cela me pousse à adopter des stratégies pour remplir suffisamment ce besoin, et une fois qu’il est assouvi il en résulte du bien-être – qui est simplement l’absence du mal-être occasionné par le manque.
Par exemple, si à un moment donné j’ai besoin de reconnaissance, la sensation de manque arrivant à une limite suffisamment désagréable va me pousser à agir : je vais chercher autour de moi quelqu’un qui pourra m’en donner (par un compliment, un acquiescement, de l’argent, un sourire, de l’écoute, etc.). Si je ne trouve pas assez rapidement de quoi remplir ce manque, il va augmenter et il va falloir que j’utilise des stratégies de plus en plus créatives (et violentes parfois) pour que cesse la sensation de frustration liée au manque (comme une drogue). Toutes les stratégies sont bonnes du moment que le besoin est assouvi, et c’est bien souvent au détriment de ceux vers lesquels je me tourne pour exiger ma pitance affective. Dans ces moments là je me soucie peu des besoins de l’autre, il faut juste que ma souffrance s’arrête.
Dans le cas de la solitude, il semblerait que ce soient des besoins de partage, d’appartenance, d’expression, de connexion/relation, de communion, de sens, de présence, de tendresse, de donner et de recevoir, de tendresse, de toucher et de communication qui tambourinent à la porte.
Se rajoute aussi la croyance qu’il n’y aurait que certaines personnes spécifiques qui pourraient nous apporter cela, ceci est particulièrement évident pour ceux et celles qui ont perdu un être cher depuis peu, voire même depuis longtemps (décès, divorce, séparation).
C’est sans doute pour ces raisons que dans notre société moderne, où il y a tant de gens qui se côtoient sans cesse, qu’un nombre croissant d’individus peuvent ressentir une grande solitude.
En théorie, cesser de souffrir de la solitude paraît assez simple, il suffit de remplir un – ou des - besoins vus plus haut. Mais pour se faire il est impératif, à mon sens, de déjà accepter le ressenti de la solitude quand il se manifeste. Prendre le temps de le goûter, de le sentir en soi et repérer ce qu’il nous pousse à faire, ou ne pas faire.
Quelle partie de moi suis-je prêt à sacrifier pour moins me sentir seul ? Quels autres besoins vais-je travestir ou passer sous silence ? Vais-je faire semblant de faire ami-ami avec des gens que je n’apprécie pas vraiment, vais-je m’alcooliser pour oublier ce ressenti désagréable, manger du chocolat, consommer des substances qui vont altérer ma conscience (anti-dépresseur - drogues), forcer des personnes à partager ma présence, me jeter sur internet et les réseaux sociaux, sortir, me plaindre, regarder la télé, aller voir un psy, acheter des vêtements de marque, menacer, soudoyer, charmer, faire partie d’un groupe (quel qu’il soit), jouer à des jeux de société, acheter un chat, m’inscrire sur un site de rencontre ?
Et pourquoi pas tout cela après tout, puisque ça existe ?
Oui, si je suis parfaitement au courant que je suis en train de compenser – non, si je fais cela de manière inconsciente. Car alors je vais en vouloir à tout et à tous ceux qui ne me donneront pas ce que j’attends, et ainsi se crée la violence.
La solitude est une sensation intéressante à vivre car elle pousse à se recentrer, à préciser ce qu’il manque à notre vie en ce moment et à prendre le temps de nourrir les besoins qui sont en carence avec bienveillance pour soi, pour les autres et pour la nature (ici je pense aux animaux plus ou moins domestiques et « d’appartement »).
Nous avons tous une vision du monde différente, avez-vous remarqué combien nous trouvons attachantes les personnes qui pensent, peu ou prou, comme nous ? Ainsi nous pouvons partager, débattre, conjecturer en toute sécurité. Mais selon notre vision, il peut être difficile de trouver des gens avec lesquels échanger.
Je peux me sentir seul et en souffrir si je me focalise sur un manque, alors ça tourne en boucle et finit par créer un kyste émotionnel. Le temps durcit la chose et apporte son lot de tensions internes. Alors la sensation de manque relationnel peut s’avérer très forte – sans pouvoir y répondre, mais il y a un moyen de le sublimer. Il suffit de tourner son attention sur la sensation de manque – qui est un reflet du vide, absence. Si l’on a suffisamment de courage et de volonté à ce moment précis pour rester assez longtemps à l’intérieur de cette sensation profonde, il se passe un phénomène étrange : le vide – absence se transforme en plein – présence. Car en réalité la sensation de manque est pleine. Cette expérience est difficile à expliquer avec des mots, il faut la vivre. Il n’y a rien de plus « plein » que le « vide ». La sensation du manque – vide est psychologique, l’expérience du vide – plein est corporelle.
En réalité nous ne sommes jamais seuls.
Tant que nous serons vivants nous expérimenterons toujours quelque chose au travers de nos sens. Il y a « je » qui fait l’expérience de quelque chose d’autre que « lui »même qui est expérimenté. Il y a l’objet des sens, les sens et ce qui perçoit les sensations.
L’univers est plein d’objets que nous pouvons contacter au travers de nos multiples sens, et ceux-ci nous donnent la possibilité de faire des milliers d’expériences différentes à chaque instant. Nos espaces intérieurs (physique, psychologique, énergétique, mental, émotionnel) sont d’une richesse infinie, si on y ajoute tout ce qui vient de l’extérieur (images, sons, odeurs, etc.) on se retrouve submergé d’informations sensorielles.
Comment se trouver seul au sein de cette abondance ?
Le 29 janvier 2022
Christian Patouillard